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Le refus du néolibéralisme jusqu¹en Papouasie-Nouvelle-Guinée (7/9/2007)
«Rausim IMF, Worldbank, Australia!» : «Dehors FMI, Banque mondiale et Australie!» Des slogans récurrents dans les manifestations anti-privatisations dans les rues de Port Moresby.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée défraye rarement la chronique. Et lorsqu¹ils en parlent, les médias dominants véhiculent souvent des préjugés d¹un autre temps sur ses communautés indigènes « primitives » et insistent sur le climat de violence qui y règnerait, la corruption des élites locales et la faiblesse de l¹État. Le mot « papou », venu des Moluques, ne signifie-t-il pas « sans père » pour marquer l¹absence de pouvoir centralisé ? Beaucoup moins connues sont les résistances anti-néolibérales de nombreux secteurs du peuple papouan-néo-guinéen. Ces dernières années, les mobilisations de militants associatifs, d¹étudiants, de syndicalistes, de fonctionnaires, parfois même de soldats, ont explicitement désigné les bailleurs de fonds internationaux et l¹Australie comme principaux responsables de la dégradation de la situation du pays, en s¹opposant aux privatisations, et spécialement celles des terres communautaires.
Peuplement et colonisation
Devenue formellement indépendante de l¹Australie en 1975, la Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) comprend la partie orientale de la grande île de Nouvelle-Guinée et plusieurs archipels (Bougainville, Nouvelle-Bretagne, Nouvelle-IrlandeŠ), couvrant 462 000 km2. Les rapports rédigés sur ce pays de près de 6 millions d¹habitants ne proviennent pas seulement d¹anthropologues, trouvant dans la richesse de ses formations sociales une matière inépuisable de recherches. Ils sont surtout le fait de transnationales, attirées par de toutes autres richesses : or, cuivre, pétrole, terres aussi, pour la culture du café et du cacao ou la production d¹huiles. La question fondamentale est l¹attachement de ces populations à leurs terres, à l¹origine de conflits parfois violents avec les investisseurs étrangers, soutenus par l¹État. Les avancées récentes de l¹archéologie convergent pour lier le peuplement de la Nouvelle-Guinée à deux grandes vagues migratoires, dont l¹origine est l¹Asie méridionale: la première remonterait à 50 000 ans, amenant les ancêtres des Papous, que l¹on retrouve aujourd¹hui sur les hautes terres de l¹intérieur ; la seconde fit venir, 10 000 ans avant notre ère, des peuples « austronésiens » qui s¹installèrent sur le pourtour côtier et dans les îles voisines. Même si leur éclatement en une multitude de groupes, parfois très petits et très différents les uns des autres (filiations patri- ou matrilinéaires), rend hasardeuses les généralisations, on observe que ces populations se caractérisent le plus souvent par une organisation assez peu hiérarchisée et des réseaux inter-communautaires noués par des échanges cérémoniels et des compétitions rituelles de dons et contre dons, dans lesquels domine le statut du «bigman». L¹Europe « découvrit » la Nouvelle-Guinée au XVIe siècle, par les navigateurs portugais, puis espagnols. En 1546, Ortiz de Retes l¹annexe à l¹Espagne et lui donne son nom moderne les autochtones lui rappelant ceux des côtes africaines du golfe de Guinée. Au XVIIe siècle, les Pays-Bas revendiquent l¹île, à la suite des voyages de Le Maire, Schouten et Tasman. Ceux, ultérieurs, de Dampier en 1688 (exploration de l¹Australie) et de Cook en 1770 (prise de possession de la Nouvelle Zélande et de la côte Est australienne), marquent l¹intérêt porté par l¹Angleterre pour ce territoire. La colonisation effective de l¹île ne débute qu¹en 1828, avec l¹occupation de sa partie Nord-Ouest par les Hollandais, qui évincent les sultans malayo-moluquois. Au milieu du XIXe siècle, des colons européens commencent à pénétrer l¹intérieur de l¹île, des marchands allemands au Nord, anglais sur la côte Sud-Est attirés par les bois de santal, d¹ébène et de cèdre, les perles, le coprah. La rivalité entre les puissances coloniales propulse la colonisation de l¹île par l¹Australie. Les ruées vers l¹or attirent des aventuriers, comme en 1877, les planteurs allemands sont très actifs, et, depuis 1853, les Français sont présents en Nouvelle-Calédonie. Inquiets, les colons du Queensland tentent de convaincre l¹Angleterre d¹occuper la partie sud-orientale de l¹île. Ils l¹annexent en 1883, sans attendre l¹aval de la métropole, avant que l¹affirmation des intérêts allemands en Océanie pousse Londres à en prendre possession en 1884. L¹Allemagne riposte en annexant le Nord-Est, l¹archipel Bismark et les îles Salomon. C¹est en 1885 que sont tracées les frontières entre la Nouvelle-Guinée hollandaise à l¹Ouest, les territoires allemands nord-orientaux et la Papouasie anglaise au Sud-Est. Cette dernière partie est remise en 1906 à l¹Australie, laquelle reçoit de surcroît le mandat de la Société des Nations sur les territoires allemands en 1921. De nouvelles ruées vers l¹or provoquent la conquête de l¹intérieur des terres à partir des années 1920, tandis que des colons développent les plantations de coprah ou de kapok sur les côtes. De plus en plus de communautés se mettent à vendre des amandes de coco, du café, du cacao, et l¹économie se monétise peu à peu. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l¹ONU reconduit la tutelle australienne sur la partie orientale de l¹île. En 1949, Nouvelle-Guinée et Papouasie sont réunifiées, et progressivement articulées à l¹économie australienne comme une simple extension coloniale. C¹est ce territoire qui accède au statut d¹autonomie en 1973, puis à l¹indépendance le 16 septembre 1975. L¹héritage colonial reste pourtant très lourd à porter, du fait du découpage totalement artificiel du pays qu¹il a induit, sans aucune consultation avec les peuples indigènes : l¹île néo-guinéenne est encore aujourd¹hui coupée en deux sa partie occidentale, West Papua (anciennement Irian Jaya), étant indonésienne, tandis que de fortes tensions séparatistes secouent toujours certaines îles mélanésiennes, comme à Bougainville, où elles ont même dégénéré en guerre «révolutionnaire».
Dépendance et néo-libéralisme
Dès les années 1960, les investisseurs australiens avaient afflué, soutenus par Canberra et la Banque mondiale. Avec l¹exploitation, à partir de 1972, de la mine de Panguna par la Bougainville Copper Ldt (BCL), filiale australienne du conglomérat Conzinc Rio Tinto basé à Londres, le cuivre et l¹or sont devenus les premiers postes d¹exportation de la PNG dès 1976. Cette année-là, la BCL annonçait les profits les plus élevés jamais enregistrés par une firme australienne. La PNG, dont l¹État était actionnaire de la BCL, en tira jusqu¹à la moitié de ses exportations et le cinquième des recettes budgétaires avant la fermeture de la mine en 1989 (jusqu¹à aujourd¹hui !) et le début du conflit. L¹expérience de développement national fut de si courte durée en PNG que l¹économie paraît être passée directement de la colonisation au néo-libéralisme. La priorité absolue de l¹État demeura la « sécurisation » de l¹environnement des investissements étrangers : tentatives réitérées de réforme du régime foncier, assurance de non-expropriation, liberté des transferts de profits, privilèges fiscaux, suppression de droits de douane, infrastructures d¹appuiŠ L¹Australie est, de loin, le premier investisseur en PNG. Ses capitaux sont majoritairement présents dans les mines et l¹énergie à hauteur de 90%. Les trois quarts des exportations sont composés d¹or, de cuivre et de pétrole le reste provenant de l¹agriculture (huiles de palme et coprah, café), la sylviculture (bois) et la pêche. Le Japon est désormais le deuxième partenaire commercial du pays, tandis que la Chine s¹impose comme le troisième importateur. Mais la dépendance vis-à-vis des exportations de biens primaires explique en partie l¹instabilité de la croissance économique, et sa faiblesse de long terme. Bien que la PNG dispose des troisièmes réserves aurifères de la planète, ses indicateurs sociaux sont parmi les plus bas. L¹espérance de vie est inférieure à 60 ans, le taux de mortalité infantile frôle les 80”, on compte 7 médecins à peine pour 1000 habitants. En dépit de carences nutritionnelles parfois graves, les cas de malnutrition y sont pourtant relativement rares. L¹une des raisons pourrait être l¹accès de la population aux terres communautaires et le fonctionnement d¹un système de solidarité fondé sur la redistribution du produit de cultures collectives de subsistance (wantok), qui amortit les effets dévastateurs de la crise et empêche la déchéance sociale. Ces réseaux de soutien traditionnels sont toutefois moins étroits en zones urbaines, où les liens sociaux ont tendance à se distendre. La pauvreté a ainsi augmenté en ville : près de 70% de la population y vivraient sous le seuil de pauvreté. Face aux déséquilibres internes (finances publiques) et externes (balance des paiements et dette), le gouvernement engagea en 1989 un premier plan d¹ajustement structurel, qu¹il durcit en 1995, puis en 1999. Comme ailleurs, les réformes mises en ¦uvre consistèrent à réduire les dépenses publiques, geler les salaires, libéraliser les prix, privatiser les entreprises nationales, dévaluer la monnaie (kina), démanteler les barrières douanières, rendre attractif le territoire économique national pour les investisseurs étrangers. Mais c¹est surtout le volet foncier de ces programmes, poussé en avant par le FMI et recommandant l¹élaboration d¹un cadre législatif relatif à l¹enregistrement et à la division des terres, qui a suscité, depuis l¹introduction du néo-libéralisme, le mécontentement populaire le plus vif.
Résistances populaires à la privatisation des terres
La stratégie néo-libérale en PNG se trouve en fait freinée par l¹ampleur des terres qui échappent au droit capitaliste et relèvent de systèmes ancestraux de propriété communautaire, bloquant l¹essor du secteur privé. Car la terre n¹y fait qu¹exceptionnellement l¹objet d¹une appropriation privée. Les systèmes fonciers se fondent, non sur la propriété individuelle, mais sur l¹usage indivis des sols. Leur propriété appartient aux communautés rurales qui y vivent, plus exactement aux lignages. Des responsables sont ainsi désignés pour exercer les droits coutumiers et pour prendre des décisions relatives aux sols. Si les liens de parenté ouvrent en général droit à leur usage (pas forcément égalitaire), la participation à des travaux collectifs peut suffire à recevoir des parcelles à cultiver. L¹individu à qui la terre est affectée devient un gestionnaire temporaire de la propriété de l¹ensemble du lignage, sans en disposer librement, car il lui est impossible de la vendre, la louer ou en disposer en dehors du cadre coutumier. Cette affectation ne signifie pas l¹octroi de droits exclusifs sur elle, mais détermine plutôt, par des règles spécifiques variant selon les groupes, toute une gamme de droits relatifs à l¹usage des ressources qui en dérivent. Ces droits d¹usage posent bien sûr des problèmes aux autorités, notamment lorsqu¹il s¹agit de construire des ouvrages d¹infrastructures. La solution en général adoptée consiste à verser des « compensations » aux propriétaires communautaires des sols (et des arbres). La terre est plus qu¹une ressource naturelle, elle constitue le pilier de la subsistance des lignages et fonde l¹identité et la cohésion des communautés. Le trait original, et paradoxal, de la PNG est que les terres collectives couvrent encoreŠ 97% du territoire national ! Les systèmes traditionnels restent d¹une extraordinaire vivacité, expliquant que la monétisation liée aux compensations ne les a pas nécessairement détruit, et en a même parfois dynamisé la reproduction élargie. Même si, dans de nombreux cas, l¹enregistrement des sols conduit au « chacun pour soi », et malgré les pressions exercées par les transnationales et le FMI pour privatiser les terres, leurs droits de propriété éminents continuent d¹appartenir aux lignages. Phénomène suffisamment rare au Sud pour être souligné. En théorie, toutes les transactions foncières doivent être effectuées par le biais de l¹État, seul autorisé à acheter et à louer des terres communautaires. Mais en pratique, ce dernier ne préserve les droits coutumiers que là où il n¹y a pas eu de ressources naturelles découvertes. Partout ailleurs, il s¹empare du sol pour en céder l¹exploitation au capital étranger, avec tout ce qui lui est attaché, au-dessus, les forêts, et au-dessous : le cuivre de Bougainville où l¹État papouan-néo-guinéen vola au secours de Rio Tinto et choisit la guerre contre les populations locales ou de Ok Tedi dans les Star Mountains fief de la transnationale australienne BHP ; l¹or de Lihir le plus vaste gisement aurifère du monde hors d¹Afrique du Sud ; mais aussi le nickel de Madang ; et bien sûr le pétroleŠ Face aux pressions des bailleurs de fonds pour la poursuite de l¹enregistrement de terres, la position de l¹État est ambivalente. En 1995, il cédait au diktat du FMI, puis retirait de l¹agenda le volet foncier. En 2001, il constituait un groupe d¹experts chargés de rédiger un projet de loi sur la privatisation des terres coutumières, avant de reculer à nouveau devant la révolte du peuple. Alternant âpres négociations sur le montant des dédommagements et répression des manifestants, il promeut l¹essor de l¹investissement des capitalistes étrangers, mais promet en même temps la protection légale aux indigènes. Les résistances à la privatisation des terres en PNG n¹ont cessé de s¹amplifier au cours des dernières années. S¹il demeure singulier, en ce qu¹il retentissait sur un mouvement séparatiste, et par la violence de l¹agression subie par les communautés et leur environnement naturel, le cas du conflit de Bougainville a assurément ouvert une brèche dans laquelle se sont engagés depuis nombre de groupes pour faire valoir leurs droits auprès des transnationales et de l¹État. Les « réformes » du statut des terres coutumières sont au c¦ur de la plupart des mobilisations populaires organisées dans le pays. Ces résistances sont bien plus que des crispations sur un passé archaïque auxquelles on voudrait les réduire. Elles expriment la défense du droit tout à fait fondamental d¹accès à la terre et de son usage collectif pour le bien-être de communautés qui sont agressées par le néolibéralisme. Elles traduisent une révolte tout à fait légitime contre les crimes écologiques causés par le pillage et les activités polluantes des transnationales. Elles s¹articulent d¹ailleurs sur des revendications plus globales, hostiles aux PAS du FMI, aux privatisations de patrimoines nationaux et aux stratégies de promotion d¹exportations de biens primaires comme c¹est le cas de la récente mobilisation d¹associations de propriétaires communautaires contre le projet de la Banque asiatique de Développement d¹extension des plantations de palmiers à huile en Nouvelle-Bretagne. Le point culminant de ces protestations anti-néolibérales a été la série de manifestations à Port Moresby qui, en juin 2001, vit des soldats rallier les cortèges contestataires d¹étudiants, de syndicalistes, d¹activistes d¹associations communautairesŠ, et obligea le gouvernement à suspendre son programme de privatisations (Telikom, transports, banquesŠ) et sa réforme foncière. De 1997 à 2000, on avait déjà vu des étudiants, des fonctionnaires, des militants associatifsŠ rallier des manifestations de militaires protestant contre les coupes des budgets de l¹armée décidées dans le cadre des PAS et relayées par les experts du Commonwealth, et exigeant l¹expulsion des représentants du FMI et de la Banque mondiale, mais également des conseillers militaires australiens et des mercenaires sous contrat avec le gouvernement. Les destructions dramatiques de l¹environnement, l¹apparition de paysans «sans terre» et l¹effritement du pouvoir des groupes communautaires sur leurs territoires ont démultiplié les mobilisations populaires dans tout le pays, des districts du Sepik à la Western Province, des Highlands papous aux îles mélanésiennes. Il est donc grand temps d¹actualiser la perception que le reste du monde a des luttes populaires en PNG, plus radicales et sous bien des aspects plus modernes qu¹en maints autres endroits du globe. Tout récemment, à la fin du mois d¹avril dernier, une forte mobilisation des communautés pour la défense de leurs droits inaliénables conduisait à la fermeture de la gigantesque mine d¹or de Porgera dans la province de l¹EngaŠ Nom officiel : État indépendant de Papua Niugini
Rémy Herrera (CNRS, France)
Population : 6 millions d¹habitants, dont 75% de Papous et 20% de Mélanésiens Religions : animisme et christianisme (catholicisme majoritaire) Langues : 3 langues véhiculaires (pidgin ou tok pisin, hiri-motou et anglais), plus 850 dialectes PIB : 14,4 milliards de dollars (à comparer aux 26 milliards de chiffre d¹affaires de Rio Tinto)
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